Clochemerle-les-caméras
Rennes-les-Bains est un charmant village de 170 habitants dont la tranquillité est bousculée par un projet de dix caméras, censées rassurer la population et les touristes qui viennent aux thermes. Prix du retour à "l’État de droit" face à "une horde de jeunes et moins jeunes sales" ? 60 000 euros.
“Ça nous sert même pas à battre un record”, soupire Jeanne1 une habitante de Rennes-les-Bains, une minuscule station thermale du Languedoc, 170 habitants en basse saison, le quintuple au moins l’été quand les touristes affluent. “Ça”, c’est un projet d’installation de dix caméras de vidéosurveillance pour mettre fin aux troubles que provoqueraient des “marginaux”. De fait, si le record de Beaudinard-sur-Verdon, 12 caméras pour 146 habitants, n’est pas battu, le dispositif porte ce gentil bled de l’Aude sur la deuxième marche du podium. Ou plutôt le porterait. Car un sondage organisé par les opposants, dépouillé ce mardi, donne 92 voix contre, sur 109 personnes interrogées.
Contacté, le maire intérimaire Patrick Borredon a refusé de commenter, arguant qu’ils étaient en campagne électorale. En effet, le maire a démissionné voilà quelque temps, pour manifester sa désapprobation, après que le conseil municipal a approuvé par 5 voix contre 3 l’achat de caméras, pour un montant de 60 000 euros, soit la moitié du budget du village. “Ce n’est pourtant pas un ardent défenseur des libertés individuelles, fait remarquer notre villageoise, pour tout dire c’est un ancien militaire.”
Pour en arriver à cette situation ubuesque, il a fallu un cocktail cloche-merlesque à base de “marginaux” donc, de complexe thermal privatisé, d’élue aux dents longues et de fin de l’univers, le tout dans un contexte national de surenchère sécuritaire alimentée par les “marchands de peur”, pour reprendre l’expression de Mathieu Rigouste.
Punks à chiens
“Stop à la marginalisation de Rennes-les-Bains” : tel était le titre d’une pétition [pdf] lancée en mars dernier par “des habitants du village, parmi lesquels des membres du conseil municipal”, détaillait le Midi Libre. Son contenu, notez l’anaphore au passage, dénonce :
MARRE de voir notre village envahis par des jeunes qui ne veulent pas travailler et viennent dans notre village afin d’échapper à toute obligation….. Ils touchent les allocs et le RSA, vont au Resto du Coeur pour se nourrir, vivent en parasite au crochet d’un système qu’ils disent haïr mais dont ils profitent bien.
MARRE que la loi ne soit pas respectée : incivilités, chiens errants dont les excréments salissent nos rues, camions pourris qui stationnent impunément des semaines sans que vous ne fassiez rien. [...]
MARRE de voir nos montagnes, nos grottes, nos sources, et nos commerces, colonisés par des hordes de jeunes et moins jeunes sales, mal habillés, mal polis et souvent agressifs et arrogants qui mettent mal à l’aise nos touristes et curistes.
Plus encore, Internet associe le charmant coin avec… la fin du monde : des illuminés viennent se réfugier à Bugarach, à cinq kilomètres de là , persuadés que le lieu sera le seul à échapper à la fin du monde, annoncée pour décembre 2012 selon le calendrier Maya.
Evelyne Codona, conseillère municipale en charge de la communication, résumait avec fermeté l’objectif affiché de cette fronde :
Le conseil municipal est décidé à rétablir l’état de droit pour développer le tourisme.
Attirer le touriste
Les espoirs reposent sur les thermes, revendus à un opérateur privé après avoir été fermés trois ans, laissant la commune asséchée comme source en plein été de canicule. Il fallait passer le balai, analyse notre villageoise :
D’abord le maire a fait fermer un petit squat, puis il a condamné l’une des dernières sources d’eau chaude accessible gratuitement. On a eu aussi droit à des arrêtés municipaux interdisant les regroupements de plus de trois personnes, ou carrément de jouer de la musique sur la place du village.
Avec la pétition, l’ambiance ne s’arrange pas. Son premier effet visible, ce sera des tags et une quinzaine de pneus crevés. Des incidents qui n’empêchent pas les habitants d’émettre un point de vue plus nuancé que les 85 signatures de la pétition le laissent croire, comme le rapporte le Midi Libre :
“On sent une certaine animosité, des regards de travers, mais si l’école fonctionne, c’est grâce aux néos”, avance Laurent, installé au village. “La plupart d’entre nous veulent vivre dans le respect des autres. La diversité est enrichissante”, reprennent de concert Virginie et Matteo.
Jeanne poursuit : “Cet “afflux” n’est pas récent, les nomades se sont juste un peu sédentarisés depuis quelques années. Avec la crise, les propriétaires de logements saisonniers ne voulaient pas perdre d’argent et ni vendre aux Anglais, se sont résolus à les louer à l’année, bien heureux d’avoir des loyers réguliers car RSA = APL.”
“Coloniser la commune”
En avril, une réunion a été organisée à la sous-préfecture de Limoux [pdf], où notre adjointe à la communication s’est montrée particulièrement au taquet : “au regard des informations qu’a pu détenir Mme Codina, ces personnes ont pour objectif de coloniser la commune, de s’y faire domicilier et de s’inscrire sur les listes électorales aux fins de participer à la vie communale. [...] La population autochtone est lassée de côtoyer ces marginaux.” [...] Paradoxalement, la gendarmerie constate que les dépôts de plainte sont peu nombreux. Seule Mme Codina a déposé plainte auprès de la gendarmerie.” Au cours de l’échange, le sous-préfet, en bon VRP, a évoqué la possibilité de mettre des caméras. Une idée qui a fait son chemin.
En juillet dernier, l’élue minimisait l’ampleur des éléments perturbateurs… tout en caressant la possibilité de mettre des caméras :
Attention, il faut nuancer le tableau. À Rennes, les marginaux ne forment pas un groupe monolithique. Il y a les ‘babacool’ pacifistes et sympathiques ; puis les ‘politisés’, souvent proches du Front de Gauche, et qui proposent des idées et il y a cette minorité qui profite de l’aide sociale tout en prônant une attitude de rejet de la société”. [...]
Nous projetons également de faire installer des caméras sur la place du village.
L’outil miracle censé faire rejaillir la prospérité ne plairait pas au propre directeur des thermes, rapporte les opposants : les caméras, ça fait Bronx. Contacté, il a refusé de communiquer à ce sujet.
Marginaux, régulation du trafic routier, surveillance de crues
Qu’importe, le dossier est en route, et pas par le chemin vicinal : une consultation a été passée via un marché à procédure adaptée (Mapa), un procédure moins contraignante, utilisable jusqu’à certains seuils. En septembre, l’entreprise retenue était connue.
Le conseil municipal a mis l’accent [pdf] sur le côté multifonction des caméras, “régulation du trafic routier, surveillance de crues, protection en matière d’incendie et d’accidents”, histoire de justifier de l’investissement à long terme, une fois que les marginaux auront disparu, par la vue des caméras effrayés. En 1992, une crue très importante a fait trois morts sur le village, sujet sensible, et surtout argument émotionnel. Quant aux encombrements dans le centre-ville de Rennes-les-Bains n’auront qu’à bien se tenir. Sur les 60 000 euros, la municipalité attend 40% de subventions du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD).
Encore faut-il que ce dernier, qui consacrait jusqu’à présent 60% de son budget aux caméras, estime qu’équiper un patelin sera une priorité en 2013 : le ministre de la Ville François Lamy a annoncé la semaine dernière une amputation des 2/3 du budget caméras du FIPD. Ce qui redonne espoir aux opposants, qui préfèreraient un policier municipal partagé avec d’autres communes, par exemple.
; illustration de Une à partir d’une photo de Adamfg [CC-byncsa]
- le prénom a été changé [↩]
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