Copier, coller, respirer !
Déformer, détourner, transformer, partager : le remix et le mashup nous enrichissent, à l'image de ces festivals consacrés à ces pratiques amateurs. Jusqu'aux frontières du légal aussi, vu que le droit d'auteur n'a pas été inventé pour amuser la galerie. Entre "droit moral" et "liberté d'expression", choisis ton camp !
Avec un festival qui s’ouvre ce week-end à Paris et une disposition législative innovante en cours d’adoption au Canada, cette semaine va être placée sous le signe du mashup et du remix.
Ces pratiques amateurs emblématiques ont également été à l’honneur lors de la campagne présidentielle, avec les remix d’affiches électorales, de débats télévisés ou de photographies d’hommes politiques. Mais malgré leur développement, elles continuent pourtant à se heurter aux rigidités d’un droit d’auteur mal adapté pour les accueillir.
Petit tour d’horizon des tensions et innovations juridiques en matière de mashup et de remix !
Partage + images = partimages
Ce week-end à partir de vendredi, vous pourrez participer à la seconde édition du MashUp Festival Film, organisée par le Forum des Images. La première édition s’était déjà avérée particulièrement stimulante, avec une exposition vidéo consacrée au phénomène, un marathon de mashup opposant plusieurs équipes pendant deux jours et plusieurs tables rondes, dont l’une avait porté sur les difficultés juridiques soulevées par ces pratiques amateurs.
Car combiner des sons, des images et des extraits de vidéos pour créer une nouvelle oeuvre se heurte en principe aux limites du droit d’auteur, qui interdit que l’on reproduise ou que l’on modifie une oeuvre protégée sans l’autorisation du titulaire des droits, hormis dans le cas d’exceptions limitées comme la parodie ou le pastiche, qui ne sont souvent pas adaptées aux pratiques numériques actuelles.
Cette année pour contourner cette difficulté et organiser un concours de mashup dans un cadre juridique sécurisé, le Forum des Images a eu l’idée de mettre en place un dispositif original, en utilisant les licences Creative Commons.
Joliment intitulé Part[im]ages, ce concours “collaboratif” invite les participants à déposer dans un réservoir des sons, des images ou des vidéos, sur lesquelles ils détiennent les droits. Tous les contenus placés dans ce “pot commun” seront placés sous la licence Creative Commons CC-BY-NC-SA, qui autorise la réalisation d’oeuvres dérivées. Le règlement du concours indique que les participants devront réaliser des mashups uniquement à partir des éléments présents dans le Réservoir, en les accompagnant d’une bande son originale et en piochant dans un maximum de sources. Plusieurs ont déjà été produits et vous pouvez votez en ligne pour ceux qui vous plaisent le plus.
Cette initiative illustre une fois encore la capacité qu’ont des licences comme les Creative Commons ou la Licence Art Libre, de fluidifier les pratiques en ligne et de faire place à de nouveaux usages, par le biais d’une mise en partage maîtrisée des contenus.
Remix et Mashup en danger
Il n’en reste pas moins qu’en dehors de la sphère des licences libres, les pratiques de mashup ou de remix continuent de s’exercer dans des conditions difficiles, en raison des contraintes exercées par les règles du droit d’auteur.
La semaine dernière par exemple, le site Techdirt nous apprenait que la célèbre vidéo RIP! : A Remix Manifesto de Brett Gaylor, qui avait l’une des premières en 2008 à s’intéresser au phénomène du remix, avait été retirée de YouTube, à la suite d’une plainte déposée par le label indépendant eOn pour un usage non autorisé d’un morceau de musique sur lequel il détenait les droits. Un moment bloquée, la vidéo est depuis de retour sur YouTube, mais cet épisode illustre bien la fragilité juridique qui est le lot des mashups.
Tout aussi emblématique a été le retrait de YouTube de cette vidéo virale, visionnée par plus de 13 millions d’internautes, qui montrait la demande en mariage d’un homme à sa dulcinée, sous la forme d’un lipdub du titre Marry You de Bruno Mars. La vidéo a visiblement été repérée par le système ContentID de YouTube et automatiquement retirée.
Cette vidéo a également fini par réapparaître sur YouTube, mais ce n’est pas le cas pour “Super Mariobi-Wan Kenobros“, un mashup mélangeant les images du combat de Qui-Gon et Obi-One contre Darth Maul, à la fin de l’épisode I de Star Wars, aux bruitages du jeu Mario Bros. L’utilisateur a préféré fermer son compte YouTube à la suite d’une notification automatique de violation de copyright, non sans exprimer son ressentiment, et sa création a disparu.
Une exception au Canada
Cette précarité des productions amateurs d’oeuvres dérivées n’est pourtant pas une malédiction insurmontable, comme est en passe de le prouver le Canada. Une nouvelle loi C-11 sur le droit d’auteur est en effet en cours d’adoption, qui pourrait apporter un commencement de solution. Même si ce texte contient un grand nombre de dispositions contestables, comme la consécration des DRM, il comporte également, comme j’avais eu l’occasion de le montrer il y a quelques mois, une exception en faveur du remix montrant que ces pratiques peuvent être conciliées avec les principes du droit d’auteur.
Inspirée par le fair use américain, cette exception, prévue pour le “contenu non commercial généré par l’utilisateur”, est formulée ainsi :
Contenu non commercial généré par l’utilisateur
29.21 (1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour une personne physique, d’utiliser une œuvre ou tout autre objet du droit d’auteur ou une copie de ceux-ci — déjà publiés ou mis à la disposition du public — pour créer une autre œuvre ou un autre objet du droit d’auteur protégés et, pour cette personne de même que, si elle les y autorise, celles qui résident habituellement avec elle, d’utiliser la nouvelle œuvre ou le nouvel objet ou d’autoriser un intermédiaire à le diffuser, si les conditions suivantes sont réunies :
a) la nouvelle œuvre ou le nouvel objet n’est utilisé qu’à des fins non commerciales, ou l’autorisation de le diffuser n’est donnée qu’à de telles fins;
b) si cela est possible dans les circonstances, la source de l’œuvre ou de l’autre objet ou de la copie de ceux-ci et, si ces renseignements figurent dans la source, les noms de l’auteur, de l’artiste-interprète, du producteur ou du radiodiffuseur sont mentionnés;
c) la personne croit, pour des motifs raisonnables, que l’œuvre ou l’objet ou la copie de ceux-ci, ayant servi à la création n’était pas contrefait;
d) l’utilisation de la nouvelle œuvre ou du nouvel objet, ou l’autorisation de le diffuser, n’a aucun effet négatif important, pécuniaire ou autre, sur l’exploitation — actuelle ou éventuelle — de l’œuvre ou autre objet ou de la copie de ceux-ci ayant servi à la création ou sur tout marché actuel ou éventuel à son égard, notamment parce que l’œuvre ou l’objet nouvellement créé ne peut s’y substituer.
Cette disposition n’est certainement pas parfaite, notamment parce qu’elle comporte – comme la nouvelle copie privée en France – l’obligation de s’appuyer sur des “sources légales”, qui peuvent être très difficiles à identifier pour un internaute lambda. La dernière condition, celle d’une absence d’effet négatif sur l’exploitation de l’oeuvre peut également être difficile à estimer a priori et donner prise à des contestations en justice. Sans compter que la limitation de l’usage à des fins non commerciales est problématique si l’objectif est de publier les oeuvres dérivées sur des plateformes comme YouTube !
Mais au moins, ce dispositif a le mérite d’exister et d”expérimenter un modèle dans lequel les pratiques amateurs de partage et de création, dans un cadre non-commercial, pourraient être jugées compatibles avec le respect du droit d’auteur.
Et en France ?
On relèvera que chez nous, ce type de questions ne semble hélas pas à l’ordre du jour dans le cadre du débat annoncé cet été sur l’avenir d’Hadopi et l’acte II de l’exception culturelle. Accordant plus d’attention à la question du financement de la création qu’à celle de l’équilibre des usages dans l’environnement numérique, il y a fort à craindre que cette consultation fasse peu de place à des sujets comme ceux du remix ou du mashup.
Pire encore, le programme Culture, médias, audiovisuel du candidat François Hollande comportait un axe qui entendait mettre l’accent sur une “facilitation des procédures judiciaires contre la violation du droit moral et de la contrefaçon commerciale“. Il est en soi très contestable de mettre sur le même plan la violation du droit moral et la contrefaçon commerciale, mais une telle logique peut provoquer des dommages collatéraux désastreux sur les pratiques amateurs.
En effet, la réalisation des remix et des mashup entre nécessairement en conflit avec le droit à l’intégrité des oeuvres, conçu d’une manière quasi absolue en France, dont les auteurs peuvent imposer le respect au nom du respect de leur droit moral. “Faciliter les procédures judiciaires contre la violation du droit moral” n’est donc certainement pas la meilleure façon d’aboutir à un rééquilibrage en faveur des usages et cela conduira même certainement à criminaliser encore un peu plus des pratiques qui participent pourtant au développement de la création dans l’environnement numérique.
L’obstacle du droit moral
L’exemple suivant permet de mesurer ce qui ne manquerait pas de se produire si on durcissait encore la protection du droit moral. L’image ci-dessous est constituée par la rencontre improbable entre le tableau Guernica de Picasso et les personnages des X-men. Elle a été réalisée par l’artiste Theamat sur Deviant-Art, dans le cadre d’un concours intitulé “Alternate Reality Character Designs“.
Repostée sur le site Blastr, il est intéressant de constater qu’elle a suscité des commentaires contradictoires qui posent la question du respect du droit moral de Picasso :
KR : “I think its disrespectful. The painting was created to show the horrors that Picasso saw and experienced during the Spanish civil war. Its not some innocuous piece of pop art.”
FR : “It’s 75 years ago and Picasso is long dead. Time to get over it.”
Qui a raison ? Il y a toujours un moyen ou un autre pour un artiste ou ses descendants de soutenir que son droit moral est violé par une modification, alors que la production d’oeuvres dérivées devrait aussi pouvoir être garantie au titre de la protection de la liberté d’expression.
Plus largement, le fait de s’inspirer et de se réapproprier des Å“uvres pour créer à nouveau constitue un processus inhérent à l’expression artistique. L’artiste peintre Gwenn Seemel nous l’explique concrètement dans la vidéo ci-dessous où elle montre comment les influences extérieures lui parviennent et l’aident à faire aboutir sa propre création lorsqu’elle peint un tableau.
Everything is a remix ! Le droit peut le nier et le criminaliser, mais il ne peut faire en sorte de faire disparaître le caractère nécessairement collectif de toute forme de création.
Un droit au Mashup, maintenant !
Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle nous avons profondément besoin aujourd’hui que le droit reconnaisse et consacre le remix et le mashup comme des pratiques légitimes.
Pour essayer de vous en convaincre, je vais prendre l’exemple de l’épouvantable chanson Friday de Rebecca Black que vous connaissez sans doute. Si ce n’est pas le cas, sachez que ce clip, posté par une adolescente américaine l’année dernière, a été consacré comme la vidéo YouTube 2011, avec plus de… 150 millions de vues ! Pourtant, le titre a été dans le même temps été désigné comme “la pire chanson jamais écrite au monde“, aussi bien pour l’ineptie de ses paroles que pour la mise en scène du clip, dont l’absurdité confine au génie !
Il y a quelques années, si une telle chanson avait été matraquée à la radio ou à la télévision comme un produit de consommation culturelle de masse, nous n’aurions pu que la subir passivement jusqu’à l’écÅ“urement, comme ce fut le cas avec la Lambada, Macarena et autres tubes de l’été préfabriqués.
Mais à l’heure d’Internet, la passivité n’est plus de mise et il est fascinant de taper “Friday+Rebecca Black+Remix” ou “+Mashup” dans YouTube ou Dailymotion. On découvre alors la manière dont des multitudes d’internautes se sont emparés de cette catastrophe musicale sans précédent pour en faire des adaptations géniales !
Tenez vous bien ! On trouve par exemple une grandiose version Death Metal ; un remix au violon interprété par un petit virtuose ; une version a capella avec une intéressante fin alternative ; l’inévitable (et insoutenable) version Nyan Cat ; la rencontre improbable de Rebecca Black avec le roi Arthur des Monty Python ; la version gore Friday the 13th ; une interprétation par Hitler dans son bunker …
Et la plus géniale de toutes, cette version Jour de la Marmotte !
Vous l’avez compris, le mashup et le remix, ce sont littéralement des moyens d’auto-défense numériques, alors tout de suite, là , maintenant, un droit au remix, sinon la vie ne vaut pas d’être vécue !
Photos par Karen Eliot [CC-bysa] via Flickr et Xmen meets Guernica par Themat via DeviantArt
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