Un égo très créatif

Le 9 décembre 2011

Raphaël Meltz a, entre autres, fondé Le Tigre, "curieux magazine curieux". Rencontre avec celui qui refuse d'être catalogué et juge avec sévérité le paysage médiatique contemporain.


“Revue ravissante pour jeunes gens graciles”, Le Majeur / Badabing ! est une double revue culturelle de 80 pages. Les lecteurs du numéro 1 ont pu découvrir un portfolio sur les courbes des culturistes irakiens, une interview de l’avocat Jacques Vergès et de Marc-Edouard Nabe, et des conseils pour bien réussir un duel à l’épée. Le deuxième sera aussi surprenant, avec notamment la visite d’un abattoir, un dossier sur le socialisme à l’ancienne, l’épopée baseball des Mets et quelques appels au meurtre. Chic, ils lancent ça jeudi prochain.


Il y a beaucoup de choses que Raphaël Meltz ne veut pas faire. Il ne veut pas mettre de pubs dans son journal. Il ne veut pas y traiter de l’actualité culturelle. Il ne veut pas utiliser de logiciels qui ne sont pas libres. Il ne veut pas qu’on le mette dans une case : journaliste, écrivain, intellectuel. Il ne veut pas qu’une journaliste de Libération lui consacre la quatrième de couverture. Il ne veut pas être interviewé en personne. Il ne veut pas parler moins vite.

Michel Butel, prodigieux inventeur de L’Autre Journal voulait “mettre la presse à l’égal d’une Å“uvre”. Raphaël Meltz et Lætitia Bianchi l’ont pris au mot et ont fondé l’étonnante revue alphabétique R de Réel. Puis, après s’être entourés d’un essaim d’historiens, essayistes, illustrateurs, écrivains, ils ont lancé le journal Le Tigre (“curieux magazine curieux”). À mi-chemin entre une forme et une autre, le journal a mué, gonflé, il s’est même teinté de couleurs.

Tour à tour indigné et roublard, Le Tigre emmène ses lecteurs des confins de l’Orient aux frontières du web, de la cuisine de Gérard Schivardi aux ors des cabinets ministériels. Sujets et illustrations sont grattés par de belles plumes. Le reportage photo d’un compère parti très loin côtoie l’hommage, sobre et touchant, à un complice parti trop vite.

Au détour d’une page de son Voyez-vous (éd. Verticales), Lætitia Bianchi nous livre :

Je lis un quotidien d’informations : les dernières vingt-quatre heures sont couchées là, avant qu’on ne les enterre.

Le Tigre s’attelle à étirer ces vingt-quatre heures, à les passer au tamis de la poésie et du sensible. Arrogant, superbe, sévère et exigeant, il n’entend pas le monde, il l’écoute.


Dans l’un des articles, il y a une formule qui m’a marqué : “décidément, c’est agréable de ne pas être journaliste”. Comment définissez-vous votre travail au sein du Tigre : écrivain, journaliste, observateur ?

J’occupe plusieurs places au sein du Tigre : l’ayant co-fondé avec Lætitia Bianchi en 2006, j’ai longtemps joué un rôle de co-rédacteur en chef, alors que nous étions deux. Puis trois durant l’année 2010 (formule quinzomadaire) où Sylvain Prudhomme nous avait rejoints. Et seul durant les sept premiers numéros de 2011 (formule mensuelle), Sylvain étant parti, et Lætitia ayant choisi de prendre du recul. Je ne joue plus ce rôle depuis l’automne 2011, puisque c’est Lætitia qui a repris, seule, la fonction. Si je détaille cela, c’est parce qu’on n’écrit pas de la même façon dans un journal quand on en coordonne le sommaire ou non. Par ailleurs, je m’occupe également, par la force des choses et non par désir, de l’administration du journal.

Aucune étiquette

Pour revenir à votre question : évidemment qu’il n’y a aucune étiquette qui me convienne parfaitement. Observateur, certainement pas, parce que ça suppose de ne pas être acteur, or je suis toujours acteur lorsque j’écris un papier dans Le Tigre : je ne crois pas du tout à cette idée qu’ont les journalistes que l’actualité existe malgré eux. C’est toujours un, ou plusieurs êtres humains qui font le choix de parler de tel sujet plutôt que de tel autre (et l’effet boule de neige donne assez vite le sentiment qu’il s’agit d’une “actualité”).

Je ne suis pas journaliste, comme je le répète souvent dans Le Tigre : d’une part parce qu’officiellement je n’en ai pas le statut (pas de carte de presse), mais surtout parce que je n’ai jamais eu le désir de l’être, jamais eu l’idée que je ferais des études de journalisme ou que mon avenir serait d’être grand reporter au Nouvel Observateur.

Écrivain, je le suis en-dehors du Tigre, puisque j’écris des livres, principalement des fictions : mais, au sein du journal, on s’est toujours interdit la fiction, donc personne ne vient faire un travail d’écrivain (si tant est qu’on lie ce mot à celui de la fiction) au Tigre. Pour tout dire, devoir se définir ne me semble absolument pas nécessaire, ni pour moi, ni pour les autres auteurs du Tigre : il me semble plus intéressant de parler des textes que de leur auteur.

Il y a eu une période, qui n’a pas duré longtemps, où je me suis dit qu’on devrait revendiquer le titre de journalistes : qu’on devrait considérer qu’en réalité, nous (les auteurs du Tigre, mais pas seulement ; tous ceux qui ont à cœur de faire une autre presse) sommes vraiment les journalistes, et que les autres sont des rédacteurs d’info. Qu’on devrait réenchanter le journalisme en expliquant que certains résistants le pratiquent encore – et pas ceux qui remplissent les pages banales des titres sans âmes.

Et puis j’ai trouvé ça absurde de vouloir m’affubler d’une cape que je n’appréciais guère ; j’ai laissé tomber cette idée.

Au sein du Tigre, j’ai pratiqué plein de genres d’écritures, plein de formats différents : c’est ce qui me paraît intéressant, l’expérimentation sur les textes. J’ai écrit des papiers type « journalistes », d’autres nettement plus littéraires, la plupart dans un entre-deux. À propos d’un “auteur-type” du Tigre, j’avais écrit une formule un peu lapidaire, mais qui vaut ce qu’elle vaut, je la ressors plutôt que de la paraphraser : “Quelqu’un qui se prend pour un journaliste mais qui s’imagine écrivain. Quelqu’un qui veut la rigueur du sociologue et la beauté du poète.” Je pourrais ajouter : “qui veut la profondeur de l’historien et la légèreté du comique.”

Il est devenu un poncif de dire que la presse papier traditionnelle est en voie d’extinction. La raison pour laquelle nous avons monté le projet Le Majeur / Badabing !, est que nous pensons que la réponse est : faire plus beau, plus fouillé et moins ancré dans l’actualité. En gros, faire jouer une dernière fois l’orchestre pendant que le Titanic coule. Vous partagez cette opinion ?

Il est évident que le Titanic coule : mais ça dure, à mon sens, depuis une trentaine d’années. Et ce n’est pas Internet, contrairement à ce que beaucoup de gens croient, ou laissent croire, qui coule la presse française : c’est son incapacité à, comme vous le dites, faire des journaux beaux, intelligents, subtils, drôles si possibles.

Et libres de toutes les mauvaises habitudes qui sont celles des journalistes : s’exciter sur les gros sujets dont tout le monde parle, et éviter de comprendre que la beauté d’une écriture, la subtilité d’un regard nous en apprennent beaucoup plus sur le monde que l’énième papier qu’il faut écrire à la suite des autres.

Que se passera-t-il lorsque le Titanic sera au fond des mers, c’est-à-dire que le système de diffusion de la presse française sera mort ? C’est une question sérieuse qu’il ne faut pas esquiver ; pour le moment, je n’en sais rien, mais je pense que la génération à venir (la vôtre) devrait l’affronter avec courage, parce que sinon tout se finira très vite sur des tablettes électroniques.

Qu’il s’agisse de supports papier ou web, la presse branchée ou indépendante consacre de nombreux papiers aux titres mythiques : Actuel, Hara-Kiri, L’Idiot International, L’Autre Journal. Ces titres ont-ils influencé Le Tigre ?

Il faut se méfier de ceux qui parlent toujours d’un passé mythique sans forcément se préoccuper du présent. On entend souvent parler de ces titres, en effet, mais c’est un peu comme le mot “socialiste” dans l’expression “parti socialiste” : c’est une façon de revendiquer quelque chose sans faire le moins du monde l’effort de s’interroger sur son sens. À quoi bon chanter les louanges d’une certaine presse alternative des dernières décennies quand on est soi-même un gigantesque publi-commercial dont l’unique but est de parler des livres, films et autres jeux vidéos que le lecteur doit se dépêcher d’aller consommer ?

Une création propre

Ce qui nous a influencés, c’est évidemment l’idée d’une forme de résistance aux habitudes de la presse que tous ces titres, d’une façon ou d’une autre, ont pratiquée. En ce qui me concerne, je n’ai été lecteur que de L’Autre journal parmi tous ces journaux, et il serait évidemment absurde de nier que Le Tigre en porte une trace. Je renvoie vos lecteurs au très beau texte de Michel Butel que nous avons publié en 2007, “La presse à l’égal d’une Å“uvre” (disponible sur notre site), où il explique parfaitement bien la différence entre un journal lambda et un journal conçu comme une création propre.

Dans un entretien accordé au site web Article 11, vous reprochiez à la presse “pure player” (Rue 89, Slate, Médiapart) de n’être qu’un agrégat de contenus. Ironiquement, le sous-titre du Tigre est une phrase d’Héraclite “un tas de gravats déversés au hasard : le plus bel ordre du monde”. Le travail que fournissent le site du Guardian ou bien OWNI, notamment sur le versant data-journalisme, peut-il trouver grâce à vos yeux parmi cet agrégat de gravats ?

Je n’avais pas pensé lire la phrase d’Héraclite comme une ode à la presse Internet, fragmentaire, parcellaire, où l’on arrive par communautés (réseaux sociaux) ou parce qu’on s’intéresse déjà à un sujet (fils RSS, recherche Google). Un tas, pour moi, c’est un tas, posé au sol, et qui reste là, et que je vais pouvoir inventorier ; ce n’est pas des poussières qui volent au vent, qui ne cessent de s’agiter devant mes yeux, ou que ne cessent de me projeter mes “amis” virtuels. Aucun site internet, OWNI moins qu’un autre, n’est un “journal”, ce sont des agglomérats, avec un énorme avantage (aucune limite de place ; aucun souci de diffusion), et, à mes yeux, un terrible inconvénient : l’absence d’une fabrication. D’une création. D’une imagination.

Je vois bien que, depuis quelques temps je suis passé du côté des vieux cons mais il me paraît essentiel de continuer à concevoir un journal comme un objet clos (fût-il sous forme numérique) et non pas comme une forme d’automate mettant à la queue-leu-leu des articles, aussi intéressants soient-ils (et, la plupart du temps, ils ne sont guère intéressants), puis les chassant pour les remplacer par d’autres. J’ai une vision encore très romantique de “l’honnête homme” qui s’intéresse à tout, qui aime la beauté des choses (et même l’odeur du papier).

Je ne nie pas l’intérêt d’Internet en général, évidemment, mais l’absence, pour le moment, de média existant en tant que tel sur internet.

L’exemple de Rue89 est très intéressant à observer. Lorsqu’ils ont lancé un magazine en papier (pour faire entrer de l’argent dans leurs caisses, ce qui en dit long sur l’absurdité qui voudrait que la presse papier coule à cause d’Internet), ils ont montré leur totale incapacité à créer un journal. Leur magazine est non seulement étonnamment laid, mais en plus il échoue totalement à avoir une âme propre (paradoxalement, il en a encore moins que le site Internet…). Ce qui veut dire que, parasités par leur expérience web, les créateurs de Rue89, pourtant issus de la presse papier, se sont montrés incapables de créer un vrai titre en papier : et plus le temps passera, moins les gens sauront faire. Sauf, bien entendu, les résistants.

Croire que le chemin de fer [l’organisation des sujets dans un journal, ndlr] est une idée dépassée est, à mon sens, tout aussi absurde que de penser que pour faire une maison, il suffit de murs extérieurs. On a encore besoin de cloisons ! Regardez comment les gens deviennent fous dans leurs lofts… (Et je ne plaisante qu’à moitié.)

Un défi à l’organisation traditionnelle

Cela dit, notre référence au tas de gravats doit s’entendre comme un défi à l’organisation traditionnelle de la presse écrite, qui, elle, a tendance à cloisonner le monde dans des rubriques closes (Politique, Société, International, etc.). Durant plusieurs vies du Tigre, nous tentions d’organiser ainsi ses pages ; puis nous avons voulu gagner en liberté, ne plus faire autre chose d’un déroulé, qu’une forme close dont l’ensemble soit la cohérence. La phrase d’Héraclite (qui utilise le terme « beau », ce n’est pas un hasard) s’est imposée.

De nombreux articles du Tigre se jouent des limites du discours publicitaire ou politique : les rendez-vous corporate, les canulars auprès de suivi-conso de grandes boîtes ou les détournements de pubs années 1970 par l’Hippopotable pour ne citer qu’eux. Et, de l’autre côté, il y a un soin particulier apporté à mettre en avant une parole libérée : graffitis à Haïti, murs peints en Afrique, interviews de concierges, croque-morts, éboueurs, flics etc. Avez-vous l’impression de mener un combat contre la novlangue ?

Même l’expression “novlangue” me dérange. Et, en général, Le Tigre préfère, par ses articles, par son existence propre, ce que vous appelez “mener un combat” plutôt que de commenter ce combat. Je veux dire par là que ce n’est pas à moi de faire l’exégèse de notre démarche politique. Politique, Le Tigre l’est assurément, mais il l’est d’une certaine façon : pas directement militant, mais dans sa pratique.

Que ce soit en refusant la publicité, en travaillant intégralement avec Linux (démontrant au passage que les logiciels libres sont des outils totalement professionnels), et en faisant le choix de sujets, de façons de les traiter. Évidemment, le rapport à la parole, à la langue, à l’écriture, est central : mais ne comptez pas sur moi pour donner ici des leçons ; c’est tout le sens du travail que nous menons que de ne pas imposer des idées toutes faites aux lecteurs.

Dans l’un des tout premiers numéros du Tigre, vous vous félicitiez d’avoir perdu cinq lecteurs, outrés par différentes choses, dont votre maquette et la longueur des articles (“5 de perdus”). Dans un numéro spécial, qui précédait le numéro 1 de la nouvelle version du Tigre, vous avez publié un long article d’explication et d’introspection portant sur Le Tigre (“Pourquoi faire un journal ?”) où vous reprochiez à vos lecteurs “de ne pas réagir, si ce n’est dans d’innombrables mails où ils feulent leur admiration et ils vous serrent la patte et ça, ça ne fait pas avancer le schmilblik” et rêviez à voix haute de “pouvoir choisir” ceux-ci. Comment conciliez-vous cette relative agressivité vis-à-vis de vos lecteurs avec l’idée du Tigre en tant qu’ “engagement humanitaire : c’est comme si je sacrifiais de mon temps au profit du monde” ?

Là, vous allez trop vite, et pour le lecteur qui ne connaît pas Le Tigre et les textes que vous citez, cela risque d’être incompréhensible. Une chose est certaine : Le Tigre n’a jamais eu pour but d’être consensuel. Que des lecteurs s’agacent ou s’ennuient en nous lisant, qu’ils restent insensibles à notre démarche me paraît très sain : on n’est pas complètement idiots, si on avait voulu faire Paris-Match, on l’aurait fait.

En revanche, ce qui est plus compliqué, c’est le rapport qu’on peut entretenir avec les lecteurs qui aiment Le Tigre et qui, parfois, oublient de nous rendre la monnaie de notre pièce : il y a une partie sacrificielle dans le temps qu’on investit pour faire ce journal avec, en effet, le sentiment de donner quelque chose au monde ; et, parfois, l’absence de réaction de ce monde-là (les lecteurs) peut sembler un peu injuste. Cela étant, après avoir écrit ce numéro-confession (“Pourquoi faire un journal”) à l’automne 2010, j’ai reçu plusieurs centaines de réponses, dont la plupart étaient belles ou intelligentes ou utiles ; depuis, je ne me plains plus de mes lecteurs.

Il y a deux ans, le magazine Chronic’art réalisait un numéro d’avril entièrement faux (fausses interviews, reportage sur “le jeu vidéo qui tue”, critiques de disques, films et livres n’existant pas etc.). En 2006, vous avez également effrayé une partie de vos lecteurs en leur faisant part d’une proposition de financement du journal par Esso. Vous écriviez, “Que faut-il préférer ? Un journal mort ou un journal qui s’adapte à la logique économique du monde dans lequel il vit ?”, avant de dévoiler le pot-aux-roses au numéro suivant. Ces moyens sont-ils, selon vous, pertinents ou suffisants pour effectuer une critique de l’état de la presse actuelle ?

“Nous sommes des farceurs”

C’est une forme comme une autre. Ce numéro en question de Chronic’art était en effet intéressant puisque c’est la seule fois dans leur existence qu’ils ont créé quelque chose (le reste du temps, ils ne font que chroniquer des produits culturels). Nous avons souvent fait des poissons d’avril (à chaque fois, les lecteurs tombent dans le panneau), tout simplement parce que nous sommes des farceurs. Je préfère votre question suivante (note pour le lecteur : il s’agit d’un entretien écrit, j’ai triché, j’ai lu toutes les questions avant de répondre).

L’une de vos illustrations représente un orgue mécanique du Victoria & Albert Museum, Tipoo Tigre, qui chante “Je préfèrerais vivre pendant (traduction plus précise je pense) deux jours comme un tigre que pendant deux siècles comme un mouton”. Dans le numéro mai/juin 2008, il y avait une double page satirique, avec un sommaire de journal (Le Mouton) qui égrenait tous les marronniers et sujets sans intérêt qu’on peut lire dans la presse actuelle : “le classement des meilleurs lycées franc-maçons des plus belles villes de France”, “le jour où j’ai accouché de quintuplés”, “Natalia et Veronika, le portofolio de Karl Lagerfeld” etc. J’ai été assez surpris d’y trouver une pique adressée à la revue XXI. Pourquoi ce coup de griffe ? Les considérez-vous comme un tigre qui a échoué, ou comme un mouton qui va durer deux siècles ?

On a souvent abusé de jeux de mots autour du mot “tigre”, c’était tentant. En ce qui concerne le Tipoo Tiger, il est évidemment question ici de la notion d’intensité : ce qui vaut pour la vie tout court vaut pour la vie professionnelle, donc également pour le journal qu’on fait. Donc, oui, on a toujours déclaré que Le Tigre vivrait le temps qu’il faudrait, et qu’il ne sera jamais question de le continuer parce qu’il marche (comme un mouton, donc). D’où, par ricochet, le besoin fréquent de changer de formule : pour éprouver que la vie continue.

En ce qui concerne XXI, mon sentiment est ambivalent : bien sûr qu’il y a quelque chose de réjouissant à voir le succès d’une aventure hors-norme, qui donne à lire de grands reportages écrits “à l’ancienne” (entendre : pas formatés comme on l’apprend dans les écoles de journalisme). Mais je suis gêné par pas mal de choses : le côté “empilement” des sujets, un aspect visuel que je trouve peu cohérent, le refus de “réenchanter” la presse (XXI n’est vendu qu’en librairies, affirmant ainsi que la presse en kiosque n’a plus vocation à croire en la qualité ; je pense au contraire qu’il est essentiel d’être présent à la fois en kiosques et en librairies : sinon la presse “différente” restera cantonnée dans ces lieux culturels relativement élitistes que sont, qu’on le veuille ou non, les librairies).

Par ailleurs, je suis assez amusé de leur façon de se proclamer indépendant (avec le groupe Gallimard et Charles-Henri Flammarion au capital) et sans publicité (en nouant des partenariats, logos à l’appui, avec la Fnac et France Info)… Bien entendu qu’il y a une part de jalousie derrière tout ça : le succès qu’ils ont obtenu, nous ne l’avons jamais eu avec Le Tigre, alors que, honnêtement, notre projet est beaucoup mieux que le leur… Mais ce que ça montre surtout, c’est la différence entre des gens qui conçoivent leur projet également dans sa portée commerciale, et des clowns dans notre genre qui ne s’intéressent qu’à la beauté du geste – ni à sa réussite, ni à sa longévité. Et des lignes qui précèdent le lecteur conclura aisément que je préfère la compagnie d’un clown à celle d’un cadre commercial.


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