“On air-on sale” : the Britney Strategy
Deux des quatre majors ont décidé de mettre en place une stratégie de mise en vente des mp3 conforme aux usages d’internet, qui risque de changer bien des choses. La première à en avoir profité ? It’s Britney, bitch!
Il paraît qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire… On va dire que c’est vrai, et que les major prennent l’expression au pied de la lettre.
Universal et Sony Music viennent en effet d’annoncer la mise en place d’une stratégie “on air on sale”, qui verra la mise en vente des nouveautés sur les plateformes de téléchargement sitôt leur première diffusion radio. Vous trouvez aberrant que cette pratique ne soit pas déjà en place à l’heure de l’immédiateté induite par internet ? C’était (c’est) pourtant le cas.
Combien de titres ont vu leurs performances amoindries par une date de sortie trop tardive par rapport à la mise en radio ? David Joseph, DG d’Universal au Royaume-Uni, l’explique assez clairement :
“Attendre” ne veut rien dire pour la génération actuelle. C’est complètement dépassé de croire que l’on peut créer de l’attente autour d’un titre en le jouant à la radio plusieurs semaines avant sa sortie effective.
Traditionnellement, un disque est mis en radio six semaines avant sa sortie, avec entre-temps la diffusion du clip vidéo qui l’accompagne. Utile pour éveiller l’intérêt du public sur un titre ou un artiste à faible notoriété initiale, ce système perd toute sa pertinence dans le cas des artistes stars capables de mobiliser leur fan base en quelques heures.
L’excitation et la frénésie d’achat générées par les passages télé aux heures de grande écoute, les candidats de l’émission anglaise X Factor ont été parmi les premiers à en bénéficier. En rendant disponible au téléchargement le single de Matt Cardle, le gagnant 2010, dans les minutes suivant son sacre devant près de 22 millions de téléspectateurs fin décembre, Sony ne s’y est pas trompé. C’est pas moins 439 000 exemplaires de la chanson qui se sont écoulés au cours de la semaine suivant la victoire, dont 112 000 dans les premières 24h, faisant de When We Collide (reprise de Biffy Clyro) le deuxième titre le plus vendu de l’année… en deux semaines (juste en dessous de 800 000 ventes).
Une stratégie moins bien pensée dans la même émission pour le groupe Take That quelques semaines plus tôt a renforcé l’évidence de la politique “on air on sale”. Le groupe s’est en effet produit dans l’émission pour son grand retour, mais une semaine avant la sortie de son single The Flood. Mauvaise idée, alors qu’il aurait fallu rendre le titre disponible immédiatement, pour capter les téléspectateurs désireux de l’acheter dans la foulée de la performance. Résultat, les internautes ont eu une semaine pour se procurer la chanson illégalement (ce qui s’avère être d’une simplicité extrême) et The Flood n’a pu faire mieux que se classer second des charts, alors qu’il était l’un des plus attendus de l’année.
Mais la première star internationale à profiter de cette stratégie et à en valider de fait le principe n’est autre que Britney Spears. Son nouveau single, Hold It Against Me, était annoncé pour le 11 janvier dernier. Sauf que, comme c’est souvent le cas avec les “gros” singles, il s’est retrouvé sur internet dès le 10. Qu’à cela ne tienne, Sony s’est empressé de le rendre disponible sur iTunes dans les heures qui ont suivi, et la réactivité a payé. Le single était en effet numéro un des ventes sur iTunes dans pas moins de 17 pays quelques heures à peine après sa mise en vente. Il est bon de noter que le seul territoire à avoir attendu une semaine pour rendre le titre disponible sur iTunes est… le Royaume-Uni ! Réactivité limitée pour nos amis britanniques certes, mais réactivité tout de même puisque Hold It Against Me devait initialement sortir… en février, en concurrence frontale du nouveau single d’une certaine Lady Gaga.
Le problème ne semble donc pas être la réticence du public à dépenser un euro/une livre/un dollar pour acheter une chanson, mais plutôt le refus d’attendre pour la posséder.
La Featured Artist Coalition, syndicat d’artistes britanniques regroupant plus de 1500 membres parmi lesquels Annie Lennox et Kate Nash, s’est félicité de l’avancée que représente la “on air on sale strategy” pour eux :
Nous accueillons avec satisfaction la décision de plusieurs majors et labels indépendants de faire coïncider les dates de mise en radio et de mise en vente des singles. Nous militions depuis plusieurs mois pour que cette décision prenne effet. Nous pensons que les artistes verront leurs ventes augmenter, et diminuer les effets du téléchargement illégal étant le fait des fans souhaitant acheter la musique dès qu’ils l’entendent. Enfin, les charts reflèteront plus fidèlement le comportement des consommateurs.
Ceux-ci risquent en effet de voir leur physionomie quelque peu modifiée. Traditionnellement, dans les classements britanniques, un titre atteint sa meilleure position en première semaine, conséquence d’une campagne marketing entamée plusieurs semaines en amont. Avec les nouvelles dispositions prises par les majors on peut imaginer plusieurs cas de figure.
Le premier bénéficiera aux nouveaux artistes pour lesquels la notoriété du titre n’est pas immédiate. Sortir le single dès la mise en radio permettra aux précurseurs de le posséder avant le grand public, les détournant ainsi des liens de téléchargement illégaux qui apparaissent plus ou moins simultanément à la première diffusion. La disponibilité du titre tout au long de la campagne marketing offrira l’opportunité de gagner de nouveaux fans tout au long de celle-ci.
Lorsque la phase d’exposition au plus large public potentiel sera atteinte (avec les grosses rotations radio, la promotion télévisée, les campagnes de RP dans les publications papier et les blogs…) les ventes augmenteront significativement pour atteindre la “peak position” tant convoitée.
C’est exactement l’approche qui a été choisie avec celle dont tout le monde parle depuis quelques semaines, la britannique Jessie J. Le single, lancé en décembre alors que le buzz commençait seulement à prendre forme, s’est hissé jusqu’à la 25ème place des charts, avant de végéter quelques semaines. Puis début janvier les choses se sont accélérées pour l’artiste : lauréate du fameux “Sound of 2011” de la BBC (la première radio britannique) consacrant les musiciens au plus fort potentiel durant les mois à venir ainsi que du Critics’ Choice Award aux prestigieux Brit Awards, sa notoriété a explosé et conséquemment, Do It Like A Dude a atteint la seconde place des classements britanniques.
Le journaliste britannique Peter Robinson, qui écrit pour le Guardian et tient le blog Popjustice soulève un autre point intéressant.
“Les radios arrêteront-elles de jouer un titre, dès que les chiffres de ventes s’avèreront mauvais ? Si oui, cela annule-t-il l’intérêt de faire coïncider date de sortie et date de mise en radio ? Les six semaines d’exposition en radio avant la sortie n’étaient-elle pas utiles pour faire découvrir et aimer un titre au public ? La stratégie “on air on sale” ne favorise-t-elle pas les hits instantanés au détriment des chansons qui prennent plus de temps à séduire (les “growers”) ? D’autre part, les “growers” existent-ils vraiment de fait où faisait-on face à des titres qui finissaient par convaincre les gens,ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils sont “bons”. Rien de tout cela n’est sûr, mais ce qui l’est, c’est que les radios seront sans merci avec les gros artistes comme les petits lorsqu’il s’agira de lâcher un titre qui ne fonctionne pas immédiatement. Prenons un exemple : “Well Well Well” de Duffy est jouée pour la première fois un dimanche soir, et sort simultanément sur iTunes. Il stagne à la 35ème place des charts le mardi, les radios arrêtent donc de le jouer le mercredi, et le titre disparaît des charts. Au bout de trois jours de campagne marketing, celle-ci est morte est enterrée, l’album et l’artiste avec.”
La stratégie “on air on sale” semble donc capable de secouer considérablement la commercialisation de la musique, tant pour les gros artistes que les débutants. Il est bon de rappeler qu’iTunes a fêté ses dix ans il y a quelques jours, soulignant d’autant plus le manque de réactivité des acteurs majeurs de l’industrie de la musique enregistrée. S’il semble à première vue que cette stratégie n’a de pertinence que pour les gros artistes, on peut espérer qu’elle permette à un grand nombre de musiciens moins exposés ne pouvant se permettre d’être piratés dès l’apparition d’un titre sur internet de construire des succès moins immédiats mais plus solides. Et pourquoi pas d’espérer atteindre le sacro-saint top 40 du dimanche après-midi…
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Lectures conseillées : Popjustice, The Guardian Music Industry
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