Photoshop, anatomie d’un désastre

Le 19 mars 2010

PhotoshopDisasters rassemble des images retouchées à la truelle avec le logiciel d'édition. C'est drôle et révélateur de la façon dont la société occidentale construit et impose des normes esthétiques.

parisbloodyhilton

PhotoshopDisasters rassemble des images retouchées à la truelle avec le logiciel d’édition. C’est drôle et révélateur de la façon dont la société occidentale construit et impose des normes esthétiques.

Elles sont parmi nous, invraisemblablement réelles. Glissées dans un magazine, placardées dans un métro. Vous ne vous en rendez peut-être pas compte.
Heureusement, des yeux avertis veillent pour vous et les réunissent sur un site : PhotoshopDisasters, comme son nom l’indique, est une galerie d’images générées à l’aide du logiciel d’édition qui présentent des aberrations au regard de Mère Nature.

Lancé en 2008, le site trie les clichés selon des catégories au nom évocateur. Inadvertent amputation rassemble les photos où un membre a été coupé, comme ça, en douce :

rockbloodyit

Inversement, la victime d’une lame possède une pièce (mal) rapportée, une tête par exemple :

discountdance

Pour le collagène pixellisé, on tapera dans mutton dressed as lamb :

donnasummer

À côté des mannequins étiquetés baroque anatomy, les petites gymnastes chinoises passent pour des manches à balai :

evenlybloodygorgeous

Bon, passée la bonne poilade ludique sur le mode “cherchez l’erreur”, PhotoshopDisasters est aussi révélateur de la façon dont la société occidentale représente le corps et modèle à son tour notre vision de la norme, comme l’explique Alexie Geers, doctorante et chargée d’enseignement en histoire de l’art et des représentations à l’Université Paris Ouest Nanterre-La Défense, et doctorante associé au Lhivic.

Quand nous parcourons le site, les aberrations physiques nous sautent au yeux. Dans leur contexte, les verrions-nous ?

Alexie Geers : Les images qui ont subi de « mauvaises » retouches ou des erreurs de retouche, le lecteur peut les déceler en étant un peu attentif. Un bras ou un pied oublié est visible, cependant ces images étant faites pour être regardées rapidement, très souvent le lecteur ne s’en rend pas vraiment compte. Les autres images, « bien » retouchées, et ce sont les plus nombreuses, ne sont pas remarquées forcément comme telles. Bien que nous sachions l’image retouchée ou travaillée, nous ne savons pas à quel point.

Que racontent ces photos sur la façon dont notre société construit une représentation normée du corps ?

Ces images, issues par exemple de la presse féminine, montrent des corps uniformisés, correspondant aux canons de beauté contemporains, toutes les étapes de la fabrication des images (car il ne faut surtout pas oublier qu’il n’y a pas que la retouche qui permet de fabriquer une photographie) permettent de gommer les aspects d’individualité (grains de beauté, nez légèrement tordu…) et de mettre en avant certains autres aspects, plus idéalisés (peau lisse, minceur, cheveux brillants…).

Des retouches aussi déformantes sont-elles courantes ?

Oui, mais la plupart du temps, la retouche est « bonne », c’est-à-dire qu’on ne la voit pas, on peut l’imaginer certes, mais la technique n’est pas visible. Les exemples de PhotoshopDisasters sont des exemples d’erreurs, de « mauvaises » retouches. Un corps peut être entièrement transformé, remodelé sans que le lecteur ne le voit, n’ayant jamais rencontré le modèle ! Souvent la rupture est visible lorsqu’il s’agit de quelqu’un de connu, voir Monica Belluci ou Sharon Stone avec des visages de jeunettes de 25 ans surprend toujours.

Quels secteurs y recourent le plus, et qui s’adressent à quels publics ?

La publicité, la presse féminine et aussi l’affiche de cinéma sont les plus gros consommateurs de ce type d’images, ceci s’expliquant aussi par leurs budgets, très importants. Car des images comme ça coutent chères, elles demandent beaucoup de travail.

Mais je dirais qu’aucun secteur n’y échappe, je crois qu’aujourd’hui toutes les photographies sont retouchées, même a minima. D’ailleurs il faut se poser la fameuse question : où commence la retouche ? Est-ce au moment où on opère une légère chromie ? Ou au moment où l’intervention est plus grosse ? Il est assez amusant de voir que la retouche est toujours définie à côté de la photographie alors qu’elle fait entièrement partie d’elle.

Quel est le risque d’une telle pratique ?

Je ne vois pas vraiment de « risque » dès l’instant qu’on est bien conscient que ce qu’on a sous les yeux est une image et non la réalité. Une photographie de publicité cosmétique n’est pas moins conforme à la réalité qu’une Vénus d’Ingres ! Il faut comprendre que l’image photographique n’est pas la réalité et balayer une bonne fois pour toute l’idée qu’elle comporte l’objectivité. La photographie est une composition et dans ces exemples, elle est travaillée autant qu’un dessin. Elle se situe, de la même manière, entre la réalité et l’imaginaire, et pas forcément plus près de la réalité.

Marie-Claire a annoncé un numéro « 100% sans retouches », la députée Valérie Boyer a proposé une loi qui obligerait à signaler les photos retouchées…, pensez-vous que l’on va revenir vers plus de naturel dans la représentation des corps ? Ou nous avons besoin de représentation idéalisée du corps ?

La démarche de Marie-Claire dans ce numéro est différente de la proposition de loi de V. Boyer, car le magazine veut montrer que, sans retouche, le magazine n’est pas si différent qu’avec (et donc essayer de dire qu’il n’use pas de la retouche). La députée veut écrire sur l’image photographique : « attention ceci est retouché, ceci n’est pas la réalité ».

À mon sens être éduqué à l’image serait une bien meilleure solution pour avoir un regard critique face au flot d’images qui nous entoure ! Apprendre qu’en effet l’image n’est pas la réalité ! (et ce n’est pas Magritte qui dirait le contraire.)

Si l’on regarde les images de presse féminine cette dernière année , on peut voir une idéalisation très prononcée. Où allons-nous ? Vers plus de naturel ? Je ne le pense pas. Car n’oublions pas que derrière toute ce système de représentation (presse féminine, publicité), il y a des industries cosmétiques, qui ne sont pas prêtes d’abandonner leurs moyens de convaincre. Surtout que le corps idéalisé est un moyen diablement efficace. Vous avez raison, en quelque sorte « nous avons besoin de représentation idéalisée ». Pour preuve la campagne Dove qui utilisait des modèles différents, des femmes rondes, plus âgées, des femmes comme « tout le monde », la campagne a beaucoup plu aux femmes, mais n’a pas eu de bons résultats commerciaux…

L’éducation à l’image, un vaste chantier auquel quelques ouvriers s’attellent…

Toutes les photos sont reprises de PhotoshopDisasters.

Quelques liens pour aller plus loin :

> sur l’image

Le blog d’Alexie Geers, L’Appareil des apparences, consacré entre autres aux photographies de corps féminin dans la presse féminine, et en particulier son billet sur le numéro “100% sans retouches” de Marie-Claire

Métamorphoses de Valentina Grossi, aborde la retouche numérique.

Les deux blogs d’André Gunthert sur Culture visuelleTotem et spécialement cette analyse et L’atelier des icônes ; et cet article paru sur Etudes photographiques

> sur l’éducation aux médias

Cellulogrammes, un atelier pédagogique sur à l’éducation à l’image, auquel s’est associé Curiosphere.tv, la web-tv éducative de France 5.

Le site de l’association Paroles d’images, présidée par Rémy Besson, et son blog.

Zéro de conduite

Le Clemi

Passeursdimages

Et pour finir, une vidéo montrant comment on transforme une jolie femme en une image publicitaire pour Dove.

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