OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 “L’Internet arabe était perçu comme l’Internet de Ben Laden” http://owni.fr/2012/11/07/internet-arabe-etait-percu-comme-internet-de-ben-laden/ http://owni.fr/2012/11/07/internet-arabe-etait-percu-comme-internet-de-ben-laden/#comments Wed, 07 Nov 2012 14:10:18 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=125133

Tout et son contraire a été dit, écrit, décrié, affirmé, à propos du rôle des réseaux sociaux dans les révolutions arabes. Nettement moins sur l’Internet arabe avant la chute de Ben Ali, de Moubarak, de Kadhafi et des mouvements révolutionnaires qui contestent depuis l’hiver 2010 les régimes en place partout au Moyen-Orient.

Yves Gonzalez-Quijano revient sur ces deux moments dans son ouvrage Arabités Numériques, Le printemps du web arabe. Universitaire arabophone et traducteur, il scrute l’Internet arabe (plutôt l’arabisation d’Internet) et en rend compte, entre autres, sur son blog Culture et Politique Arabes dont les articles ont parfois été repris sur Owni.

Personne n’avait vu venir les soulèvements arabes. Personne n’avait vu venir les jeunes des pays arabes sur Internet non plus. Il y avait pourtant des signes. A la fin des années 1990, un groupe tunisien connu sous le nom de Takriz lance une liste de diffusion sur laquelle circulent des informations alternatives. L’un des membres, Zouhair Yahyaoui (Ettounsi sur les réseaux) devient en 2002 l’un des premiers cyberdissidents arrêté et emprisonné en Tunisie pour son activisme en ligne, presque dix ans avant les révoltes de 2011. Triste symbole.

Marchés de substitution

Dès le début des années 2000, alors que la bulle Internet venait d’éclater, “les pays émergents en général, et ceux du monde arabe en particulier, offr[ent] des marchés de substitution grâce auxquels les industries mondialisées de l’information de la communication pouv[ent] continuer leur croissance”, note Yves Gonzalez-Quijano. Apple, qui proposait des produits arabisés dix ans plus tôt mais a abandonné la voie, est doublé par Microsoft et le multilinguisme d’Internet Explorer.

A la technique s’ajoute une idéologie nationaliste arabe qui veut son industrie du logiciel. Les initiatives de développeurs arabes, notamment en Jordanie, se multiplient. Avec certains succès, comme Maktoub, lancé en 1998 et racheté dix ans plus tard par Yahoo!. Dernier élément : l’envie. “L’arrivée d’Internet dans le monde arabe a été un appel d’air” explique le chercheur à Owni :

Internet, c’est le culte du cargo. Le savoir est accessible immédiatement, il vous tombe presque dessus, tout en échappant au contrôle social de la famille ou de l’entourage. C’est un peu comme lire sous les draps…

Révolutions interconnectées

Au milieu des années 2000, l’Internet a changé, il est moins austère, plus tourné vers l’utilisateur (user friendly). C’est le temps du web 2.0, la grande époque des blogs. Viennent les réseaux sociaux, plus compatibles avec le son et l’image. Avant l’irruption de l’Internet arabe dans les agendas médiatique et politique, avaient eu lieu plusieurs révolutions, écrit Yves Gonzalez-Quijano :

On est en présence non pas d’une seule et unique révolution, celle des réseaux sociaux dont l’extension frappe tellement les esprits aujourd’hui, mais bien de trois ou quatre, successives et interconnectées.

Comment les observateurs du monde arabe ont-ils pu ignorer ce phénomène, l’émergence de cet Internet arabe, ou plutôt l’arabisation d’Internet ? Le chercheur évoque plusieurs pistes dans son livre. ”Un blocage culturel, un exotisme orientaliste en quelque sorte, empêchait d’associer Internet et arabe” résume-t-il. Les rapports sur l’utilisation d’Internet dans la région se concentrent sur la répression, sur la censure. Ce qui a “contribué à ancrer dans les esprits la conviction que l’Internet arabe avait encore devant lui un très très long chemin à parcourir avant de pouvoir exister de plein droit et de contribuer au changement”

L’Internet de Ben Laden

Le comportement des potentats locaux est pourtant plus ambivalent. “Moubarak était perçu comme un tyran rétrograde. Tyran il l’était, mais pas rétrograde ! corrige Yves Gonzalez-Quijano. Beaucoup ont refusé de le voir.” L’Égypte est le premier État arabe à nommer un ministère aux technologies de l’information et de la communication.

Dernier biais : quand elle ne se concentre pas sur la répression, les études des années 2000 échouent sur un autre biais, la (cyber) pieuvre islamiste. La peur panique de l’islamisme après 9/11 “a fortement contribué à faire en quelque sorte ‘disparaître des écrans’ l’activité numérique arabe, totalement recouverte par une nouvelle catégorie, celle du ‘web islamique’, sujet d’un bon nombre d’études” note le chercheur, qui résume à l’oral :

En somme, l’Internet arabe était perçu comme l’Internet de Ben Laden.

Une perception qui a volé en éclat avec les soulèvements de 2011. Le Printemps arabe “a au moins eu cette vertu d’ôter un peu de leur crédibilité aux commentaires inquiets sur les risques du cyberjihad” écrit Yvez Gonzalez-Quijano.


Photo d’Alazaat [CC-by]

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La marche égyptienne sur YouTube http://owni.fr/2012/01/31/marche-egyptienne-sur-youtube/ http://owni.fr/2012/01/31/marche-egyptienne-sur-youtube/#comments Tue, 31 Jan 2012 12:27:29 +0000 Brice Lambert et Marion Lippmann http://owni.fr/?p=96475 La photo d’un soldat tabassant un civil flotte dans les airs. Entourées d’une centaine de personnes, deux jeunes femmes brandissent fermement l’image. Une passante, choquée, fonce sur elles et hurle :

Partez, partez ! On ne veut pas de vous ici !

Vendredi, 19 heures, sur la place du marché d’Ard El Lewa, un quartier populaire de Gizeh, l’ambiance est électrique. Un écran, érigé au centre de la place, diffuse des vidéos de militaires qui brutalisent des civils. Certains piétons, intrigués, s’arrêtent pour regarder. D’autres, anxieux, préfèrent passer leur chemin. De grosses enceintes diffusent un son puissant, qui peine a masquer les bruits des cafés et des vendeurs d’oranges.

Menteurs

Depuis trois semaines, des dizaines d’événements semblables investissent les rues du Caire, d’Alexandrie ou d’Assiout. Tous relèvent de l’initiative “Kazeboon”, comprendre “Menteurs”. Le projet est simple : organiser des projections de vidéos sur la voie publique pour attiser la curiosité des passants et “rétablir la vérité” sur les confrontations entre civils et militaires. Désormais, la révolution se joue à coup de vidéo-projecteurs et de clips estampillés YouTube.

Après la diffusion d’une vidéo par le Conseil suprême des forces armées (CSFA) montrant des civils en train de défoncer consciencieusement un bâtiment, des jeunes ont réagi à ce qu’ils considèrent comme une manipulation en projetant à leur tour des vidéos chocs. Au détour des rues du Caire, des écrans montrent ainsi des militaires armés qui tirent sur des jeunes, qui asphyxient les manifestants à la lacrymo ou qui frappent à coups de bâton des femmes à terre.

Sur la place du marché, la tension monte et les débats sont passionnés. Les slogans volent, les insultes aussi. “A bas le CSFA !”. “Taisez-vous, c’est vous les menteurs !”. “Arrêtez avec vos bêtises, laissez-nous vivre en paix !”, lance un père accompagné de ses enfants. Mais la vingtaine d’organisateurs ne se laisse impressionner ni par l’hostilité de certains passants furieux, ni par le risque de représailles de l’armée. “Je ne céderai pas à la peur, car il faut bien que certains d’entre nous agissent” assure Wahel Mohamed, l’un des responsables de l’initiative.

Il sait pourtant que rares sont ceux qui restent assis pendant le générique dans ce genre de projections. Celle organisée quelques jours auparavant à Zamalek, un quartier huppé du Caire, avait par exemple dû être interrompue après seulement quelques minutes de diffusion, une dizaine de personnes ayant provoqué une bagarre au tout début de la séance. “Probablement des personnes payées par l’armée ou la police” suppose Ahmed El Lozy, journaliste et organisateur de l’événement.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Un an jour pour jour après les premiers soubresauts de la révolution égyptienne, initiée le 25 janvier 2011, le climat politique est à l’orage. Un fossé s’est en effet creusé entre les Égyptiens qui ne soutiennent plus la révolution et qui souhaitent un retour au calme et la minorité qui continue de manifester inlassablement pour réclamer le transfert du pouvoir aux civils. Et si les incidents entre manifestants et passants se multiplient lors des marches organisées dans les rues du Caire pour appeler les citoyens à se soulever, certains activistes admettent avoir une part de responsabilité dans ce rejet. Ahmed El-Lozy :

Nous ne sommes pas des criminels, c’est un mensonge du Conseil suprême des forces armées. Mais nous n’expliquons pas assez aux gens ce pour quoi nous nous battons. La seule chose qu’ils retiennent, ce sont les embouteillages que nous générons. Par ailleurs, les blogs, Twitter et Facebook, c’est très bien, mais les gens qui s’y intéressent sont déjà acquis à nos idées. Or, il est vain de se battre pour un état de droit si le peuple n’est pas derrière nous.

Pour renouer le lien avec la population, les activistes ont donc décidé de faire descendre YouTube dans la rue et de privilégier les actions de proximité. Dans les quartiers populaires, où l’accès à Internet est encore rare, des projections publiques sont organisées. Dans les quartiers plus riches, des DVD gravés sont distribués afin de permettre aux habitants de les visionner en toute discrétion. Des Comités de défense de la révolution sont présents dans chaque quartier du Caire.

Leurs membres vont à la rencontre des habitants, pour expliquer leurs revendications. “Souvent, lorsque ces gens réalisent qu’ils connaissent l’un des manifestants de la Place Tahrir, ils mettent un visage sur notre mouvement et cessent de nous voir comme une masse d’excités”, explique Wahel Mohamed, qui participe au Comité du quartier d’Ard El Lewa.

Les habitants eux-mêmes sont incités à devenir acteurs du mouvement : la page Facebook de Kazeboon appelle toute personne ayant été témoin de violences militaires à partager ses documents. Et l’initiative prend de l’ampleur, dépassant mêmes les frontières. Depuis deux semaines, Londres, Rome, Paris et les grandes villes américaines ou canadiennes ont vu débarquer sur leurs murs les vidéos de « Kazeboon ». Aucune n’était hébérgée sur Megavideo.


Initialement publié sur The Ground sous le titre Egypte : la révolution sera télévisée
Photos par Marion Lippmann et Brice Lambert, au Caire, Égypte.

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