«26% moins cher que Veolia et 6 fois plus d’investissement qu’avec le privé»

Le 22 mars 2011

Gabriel Amard, président de la communauté Lac d'Essonne, a sorti Viry Châtillon de la régie d'eau Sedif déléguée à Veolia. Il a réduit d'un quart la facture d'eau en créant sa propre régie de distribution.

Conseiller municipal à Viry-Châtillon (91) pour le Parti de Gauche et président de la communauté d’agglomération des Lacs d’Essonne, Gabriel Amard a mis en place depuis le 1er janvier 2011 une régie publique de distribution d’eau sur sa commune. Après être sorti du syndicat des eaux d’ÃŽle-de-France (Sedif), regroupant 144 communes dans la région, il a du créer son propre réseau, embaucher ses experts et organiser la distribution. Un dispositif qui lui a permis, en économisant les 25 à 30% de frais excédentaires des entreprises titulaires des délégations de service public, de mettre en place des tarifs sociaux et une véritable pédagogie de l’usage de l’eau à Viry Châtillon. Une démarche politique dont il tente de faire un modèle de sortie du régime de privatisation généralisé.

D’où est venu votre projet de sortir du Sedif pour revenir à une régie publique de l’eau ?

Gabriel Amard : Il s’agit d’abord d’un parti pris politique : certains disent que l’eau n’est pas une marchandise comme les autres. Or, pour ma part, je considère que ce n’est pas une marchandise du tout. Ce qui doit être facturé dans le service public de l’eau, c’est sa potabilisation, son transport et sa distribution… Le reste, c’est l’accès à l’eau, c’est nécessaire à la vie, cela doit donc être gratuit.

Il m’a suffit de faire ce que n’importe quel comptable peut faire, à savoir regarder les factures que vous présentent les entreprises à qui sont délégués ces services. En plus des trois services réels dont j’ai parlé, vous voyez cinq lignes :
1. des frais de siège ;
2. des impôts sur les sociétés ;
3. des impôts locaux ;
4. une masse salariale qui ne correspond pas au personnel mobilisé sur le contrat ;
5. des résultats qu’on ne retrouve pas dans les comptes d’exploitation.

Et, une fois additionnées, ces cinq lignes représentent un surcoût de 25 à 30% ! Quand j’ai réalisé ça, j’ai décidé de mener une expertise, en partenariat avec la régie de Grenoble, sur la tuyauterie : alors que la durée de vie des tuyaux est de 100 ans, il n’y avait que 0,4% de renouvellement chaque année. L’opérateur agissait comme si les tuyaux devaient durer 250 ans !

« Veolia facturait 16% d’eau potabilisée qui n’arrivait jamais au robinet, contre 5% dans les régies publiques de Paris ou Grenoble »

Quant au rendement du réseau, il totalisait 16% de fuite. Or, ces 16% de fuites étaient au préalable potabilisés et donc facturés : les habitants de Viry-Châtillon payaient pour 16% d’eau qui n’arrivait jamais à leur robinet, là où les régies publiques, à Paris ou Grenoble, n’ont que 5% de perte. La décision a été prise en 2009 et, depuis le 1er janvier 2011, nous sommes en régie publique : nous sommes le 22 mars aujourd’hui et nous avons déjà inspecté les 2/3 du réseau.

Comment sort-on d’une régie privée ?

Gabriel Amard : Pour Viry Châtillon, il a suffit de sortir du syndicat d’eau, en l’occurrence le Sedif, mais il fallait préparer notre coup à l’avance ! Nous avons donc profité de la fin de la délégation de service public à Veolia pour ne pas renouveler le contrat car, si nous l’avions fait pendant, l’entreprise aurait pu nous demander un préjudice.

Dans le cas du Sedif, le contrat de délégation de service public de l’eau dure 12 ans : cela signifie qu’une commune ou une agglomération qui rate le créneau est condamnée à payer ou à attendre ?

Gabriel Amard : J’avais prévenu mes collègues mais, sur les 54 villes du Sedif qui se déclaraient favorables à une régie publique de l’eau, Viry a été la seule à agir. Pour une commune, il y a deux possibilités : soit on forme une communauté d’agglomération à laquelle on confie la gestion de l’eau, soit la compétence de gestion de l’eau est transférée à la communauté d’agglomération.

« Toutes les communes qui sont dans une régie privée ont le choix ! »

La loi de 1999 montre que, dans ces deux cas, les conditions sont réunies pour sortir du privé, ce qui est contesté notamment par André Santini (ancien président du Sedif). Mais toutes les communes ou communautés d’agglomération qui sont dans une régie privée ont ce choix !

En pratique, comment met-on en place une régie publique de l’eau moins coûteuse pour l’usager ?

Il suffit de prendre tous les métiers de la fourniture d’eau et de les mettre à prix coûtant ! Mais personne ne vous oblige à raser gratis tout de suite. A Viry, nous avons commencé par passer en régie publique la distribution, ce qui nous a permis de recruter un savoir-faire : certains de nos salariés viennent d’une régie publique, d’autres du privé. Notre directeur est un ancien du conseil général de la Nièvre où il a géré l’assistance technique de 45 communes et de plusieurs syndicats. De l’autre côté, nous avons recruté quatre anciens de Veolia, dont Jean-Yves Ratineau, un cadre qui avait 35 ans de maison. Tous ces gens vont nous aider à expertiser les étapes suivantes : la potabilisation, la distribution, etc.

Parmi les communes de la communauté d'agglomération, Grigny, connue pour son quartier de La Grande Borne pourrait un jour intégrer la régie publique mise en place à Viry Châtillon, sa voisine.

Par la suite, nous avons prévu de fédérer d’autres communes pour étendre la régie au traitement de l’eau, peut-être racheter une usine à Suez… Car cela fait partie des paradoxes de ce système : en Essonne, toutes les usines de potabilisation et les points de captage sont propriétés d’entreprises privées mais, comme le veut la loi, ce sont les élus qui sont responsables de la qualité de l’eau ! Pour l’instant, rien que sur la distribution, nous avons déjà économisé 25% par rapport à Veolia.

Comment répercutez-vous ces économies sur les usagers ?

Pour l’usage professionnel, l’eau est 4 centimes le mètre cube moins cher qu’avec Veolia, alors que les collectivités et les administrations l’ont à prix coûtant. Pour l’usage familial, c’est un peu plus compliqué : la loi nous interdisant de donner de l’eau gratuitement, nous avons calculé que les 3 litres d’eau par personne et par jour à la vie, représentaient pour notre ville 2,7% de la consommation totale. Nous avons donc rabaissé le coût d’accès à l’eau de 2,7% pour tous !

Ensuite, le système est simple : plus on consomme, plus le mètre cube d’eau est cher : jusqu’à 120 mètres cube (une consommation normale), l’accès à l’eau coûte 1,1 euros par mètre cube. Au-delà et jusqu’à 200 mètres cube, on passe à 1,35 euros. Au-delà de 200, c’est 1,5 euros par mètre cube de plus… L’usage de confort est plus cher et le luxe encore plus : c’est une sorte d’éducation populaire par le prix. Enfin, pour les résidences secondaires, les parts fixes sont payées en plus car c’est absurde que ceux qui vivent la toute l’année paient plus pour ceux qui ne sont là que quelques mois. Certes, nous ne sommes pas une cité balnéaire mais, le but de ce règlement, c’est qu’il puisse s’appliquer à n’importe quelle ville !

Quelles sont pour vous les perspectives de développement pour votre régie ou, de façon plus générale, pour le retour aux régies publiques en France ?

Nous allons déjà voir à l’usage, peut-être que Veolia ne nous a pas donné tous les détails sur la proportion d’usage industriel… Mais nous avons de la marge. À partir de juillet 2012, nous nous fournirons auprès de l’opérateur public Eau de Paris, ce qui nous permettra de passer de 0,7 euro par mètre cube avec Suez à 0,5 euro. Peut-être baisserons-nous la note, peut-être investirons-nous pour nous payer notre propre usine de potabilisation !

Au niveau national, une bonne perspective serait une loi de réappropriation publique de la gestion de l’eau qui réorganiserait le système localement. Les entreprises, pour un prix inférieur, financeraient la gratuité de l’eau par simple disparition des marges des entreprises privées ! Après, il y a plein de choses à imaginer, comme de meilleurs usages de l’eau : pas besoin d’eau potable pour les toilettes ou certains champs ! Dans les jardins ouvriers des cités de Viry, ce sont des pompes manuelles qui permettent aux usagers d’extraire de l’eau des couches superficielles. Pour le reste, il faut espérer que la tendance se poursuive : en 2000, il y avait 70% de régies gérées par le privée. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 61% : je suis presque le petit dernier !

Photos Sylvain Lapoix

Image de Une réalisée par Loguy /-)

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